Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/255

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peut eſtre (luy dis-je en le regardant aſſez attentivement) que vous sçavez qu’il n’eſt pas à pleindre : & qu’il n’eſt pas haï de la perſonne qu’il aime. Je ne sçay, me reſpondit elle, s’il eſt haï ou s’il eſt aimé : car je ne ſuis ny ſa Maiſtresse ny ſa Confidente. Pleuſt aux Dieux que la moitié de ce que vous dittes fuſt vray (luy dis-je en l’interrompant aſſez bruſquement) car Leontidas en ſeroit plus heureux qu’il n’eſt. Leontidas, dit elle en ſous-riant, vous eſtes d’une Iſle conſacrée à la Mere des Amours, où la galanterie eſt une Loy ; où l’on ne parle que d’aimer ; où l’on n’entretient les Dames que de choſes flateuſes, douces, & obligeantes. Mais pour nous qui reverons une autre Divinité ; qui ſommes un peu moins galantes qu’elles ; & meſme ſi vous lé voulez, un peu plus fieres : j’ay à vous apprendre comme à un Eſtranger, qu’il ne faut pas dire de ſemblables choſes à toutes nos Dames, qui s’en offenceroient peut-eſtre plus que moy ; parce qu’elles ne sçauroient pas excuſer la couſtume de voſtre Païs comme je fais. A toutes vos Dames ! repris-je avec precipitation ; ha divine Alcidamie, vous ne connoiſſez pas Leontidas, ſi vous croyez qu’il die jamais à nulle autre perſonne qu’à vous, qu’il eſt eſperdûment amoureux. Serieuſement, me dit elle, Leontidas, corrigez vous de cette mauvaiſe habitude, ou je m’en pleindray à voſtre Amy ; & le prieray de vous l’oſter s’il eſt poſſible. Il ne le pourroit pas, luy reſpondis-je, quand il l’entreprendroit : J’éviteray donc voſtre converſation, reprit elle, juſques à ce que vous ayez apris nos couſtumes. C’eſt l’uſage par tout, luy repliquay-je, d’adorer les Belles comme vous : & c’eſt auſſi l’uſage general, reſpondit elle, excepté en Chipre, que