Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/575

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à la Fortune. Toutes nos converſations n’eſtoient pour l’ordinaire que des diſputes de l’ambition & de l’amour : chacun de nous ſoustenant ſon opinion, ſelon les ſentimens qu’il avoit alors dans le cœur. Nous avions deux Vaiſſeaux outre celuy où nous eſtions : mais nous n’euſmes bien toſt plus que le noſtre : car ayant rencontré le Prince Polycrate beaucoup plus fort que nous, il nous prit les deux autres : & tout ce que nous peuſmes faire fut d’échaper à ſa victoire. Il eſt certain que cette avanture me faſcha, & me fit devenir Pirate, s’il faut ainſi dire : car il me prit une ſi forte envie de regagner ce que j’avois perdu, que nous fiſmes deſſein d’attaquer tout ce qui ne ſe rendroit point : ne jugeant pas qu’il fuſt plus permis à Polycrate qu’à nous de faire des priſes continuelles ſur toutes les Mers où il navigeoit. En moins d’un mois nous fiſmes plus de vingt Combats, & j’aquis bientoſt le nom de Pirate : car pour le Prince Tiſandre, durant tout ce voyage, il ne voulue point eſtre connu aux lien où nous abordaſmes. Je puis touteſfois dire ſans menſonge, que j’ay eſté Pirate ſans eſtre Pirate, s’il m’eſt permis de parler ainſi : car comme je n’avois deſſein que de me faire une petite Flote par mon courage ; je ne retenois que des Vaiſſeaux, & les hommes qui vouloient ſervir ſous moy : & juſtement ce qu’il faloit pour leur ſubsistance. Nous priſmes trois Navires du Prince de Phocée mon ennemy, ce qui me donna une joye inconcevable : & à la premiere Iſle que nous trouvaſmes, l’en mis les gens à terre, & en pris d’autres ; me ſemblant que je devois tout eſperer, puis que j’avois commencé de vaincre par mes ennemis. J’apris de ces Mariniers de Phocée, que