Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/583

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

perdu. J’advoüe que ce changement m’eſtonna : & que j’eus meſme quelque honte de cette premiere foibleſſe. En effet je penſay changer le deſſein que j’avois, d’envoyer demander la permiſſion de voir la Femme d’Euphranor qui ſe nommoit Phedime : car enfin, diſois-je, que veux-je faire, de m’expoſer à un ſi grand peril, comme eſt celuy de revoir une ſi redoutable Perſonne ? Je ne l’ay encore veuë quelques momens, & cependant je ne ſonge preſques deſja plus à mes ennemis : que ſera-ce donc quand je luy auray parlé, & que je luy auray donné loiſir d’aſſujettir mon cœur ? Neantmoins je me moquay moy meſme de ma crainte un inſtant apres : & je creus encore que je n’avois qu’à ne vouloir point aimer Alcionide pour ne l’aimer pas. Les autres, diſois-je, qui ſont ſurpris par cette paſſion, le ſont ſans doute parce qu’ils ne ſongent pas à y reſister dés le commencement : mais pour moy il n’en ſera pas ainſi : car je veux aller voir Alcionide, avec une ferme reſolution, de n’avoir jamais que de l’admiration pour elle, & de n’avoir jamais d’amour. Ainſi, Seigneur, penſant m’eſtre bien fortifié contre les charmes de cette rare Perſonne, j’envoyay demander l’apres-diſnée à ſa Mere la permiſſion de la viſiter, qu’elle m’accorda. J’y fus donc avec Leoſthene : mais j’y fus ſans luy parler, tant que ce chemin dura. Seigneur, me dit il en riant, vous me ſemblez bien reſveur, pour faire une premiere viſite de Dames : je ſous-ris de la remarque de Leoſthene ; & ſans luy reſpondre, parce que je ne sçavois pas une bonne raiſon a luy dire de ma reſverie, je fis ſemblant de ne l’avoir pas entendu : & j’entray dans le Chaſteau, dont nous eſtions