Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/588

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Dieux ! je trouvay le premier deſja ſi engagé, & l’autre ſi preocupée, que je n’en fus pas peu eſtonné. J’apellay l’ambition à mon ſecours, comme ayant toujours oüy dire, que de toutes les paſſions, c’eſtoit la ſeule qui pouvoit quelqueſfois reſister à l’amour : Mais quoy que je puſſe faire, elle combatit inutilement, & il falut qu’elle cedaſt à l’autre. Elle ne ſortit pourtant pas de mon cœur : au contraire, toute vaincue qu’elle fut par l’amour, elle redoubla encore ſa violence : & je m’eſtimay cent & cent fois plus malheureux d’avoir perdu mon Eſtat apres avoir connu Alcionide, que je ne faiſois auparavant : parce que je regardois alors les malheurs de ma fortune, comme un obſtacle invincible à l’heureux ſuccés de ma nouvelle paſſion. Si j’eſtois Maiſtre abſolu dans Milet, diſois-je, la poſſession de cette belle Perſonne me ſeroit preſque aſſurée, mais eſtant exilé comme je ſuis, & paſſant pour un Pirate comme je fais, je ne puis pretendre ny à la poſſession de ſon cœur, ny à celle de ſa perſonne : & je n’ay qu’à me preparer de ſouffrir tous les ſuplices que l’amour & l’ambition jointes enſemble peuvent faire endurer. Mais, adjouſtois-je, que dira de moy le ſage Thales ; qu’en pourra dire le Roy de Corinthe ; qu’en penſera le Prince de Mytilene ; & qu’en croiront enfin tous les Princes & tous les Peuples de l’Ionie en particulier, & de toute la Grece en general ? s’ils viennent à sçavoir qu’un Prince chaſſé de ſes Eſtats avec injuſtice ; mal-traitté de ſes ennemis ; trahy par ſes Sujets ; & depoſſedé par un Fils naturel du Prince ſon Pere : qu’un Prince, dis-je, qui ne doit ſonger qu’a la vangeance & à la gloire, ſe ſoit laiſſé vaincre ſans reſistance par les