Page:Scudéry - Artamène ou le Grand Cyrus, troisième partie, 1654.djvu/668

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regardez pluſtost le ſervice que le Roy d’Aſſirie vous a rendu, comme un ſimple effet de ſon bonheur, que comme une preuve fort extraordinaire de ſon affection. Mais apres tout, il l’a delivrée, reprenoit il ; & je voy, ce me ſemble, cette Princeſſe, luy donner mille marques de reconnoiſſance. Encore ſi j’eſtois aſſuré que cette admirable Perſonne euſt ſouhaité dans ſon cœur que ç’euſt eſté moy qui luy euſſe rendu ce bon office, j’en aurois quelque conſolation : Mais la liberté eſt un ſi grand bien, qu’il eſt tres difficile de n’aimer pas la main qui nous la donne. O Fortune, rigoureuſe Fortune, s’écrioit il, pourquoy n’as tu pas voulu que j’euſſe la gloire de rompre les chaines de ma Princeſſe ? Il ſemble, adjouſtoit il en luy meſme, que je ſois le plus heureux Prince de la Terre : je gagne des Batailles ; je conqueſte des Royaumes ; rien ne me reſiste ; tout m’obeït : & le Roy d’Aſſirie luy meſme eſt renverſé du Throſne, & contraint de ceder à la force de mon deſtin. Cependant ce Prince infortuné, eſt preſentement mille & mille fois plus heureux que Cyrus, qui paſſe pour le plus favoriſé des Dieux d’entre tous les hommes. Comment oſeray-je, reprenoit il, paroiſtre devant ma Princeſſe ? & comment pourray-je avoir aſſez de reſpect pour elle, pour ne teſmoigner pas au Roy d’Aſſirie l’impatience que j’ay de me voir aux mains aveques luy ? Quand il eſtoit dans Babilone, il m’eſtoit moins redoutable, qu’il ne me l’eſt preſentement : car enfin Mandane ne le pouvoit regarder en ce temps là, que comme ſon Raviſſeur : mais aujourd’huy il a bien changé de termes dans ſon eſprit : il eſt ſon Liberateur : & tout ce que j’ay fait pour elle, ne luy a jamais eſté ſi avantageux, que ce qu’il a fait aujourd’huy. Touteſfois, adjouſtoit il, je ſuis