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Page:Segalen - Gauguin dans son dernier décor.djvu/6

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êtres-enfants ? Des formes splendides, qu’il « osa déformer » ; des motifs, aussi, à faire sonner à travers les vibrations bleues-humides de l’atmosphère de chaudes notes ambrées, les chairs onctueuses aux reflets miroitants sur lesquelles pulvérulent, au grand soleil, des parcelles dorées ; des attitudes, enfin, dans lesquelles il schématisa la physiologie maori, qui contient peut-être toute leur philosophie. Il ne chercha point, derrière la belle enveloppe, d’improbables états d’âme canaque : peignant les indigènes, il sut être animalier.

§

Et voici, enfin, la mise en scène : « De nos jours, en l’île d’Hiva-Oa, au district d’Atuana ». Toile de fond panoramique : la grande tombée verticale sur une vallée savoureuse de la muraille géante, striée de grêles cascades métalliques et écrêtée d’une barre horizontale de nuages stagnants, perpétuels, qui nivèle le dentelé des sommets. — Ces crêtes tourmentées dénomment les îles : Grande-Crête, Crête-sur-la-Falaise, Crête-sur-le-Rocher. Leurs parois s’incrustèrent de cadavres, que, pour les honorer, les indigènes allaient tapir, par d’invraisemblables routes, en des cachettes presque aériennes. Les portants de la scène : ce sont les contreforts qui de droite et de gauche cernent jusqu’au rivage chaque vallée, que la mer vient barrer encore d’une crête déferlante ; car ici, pas de récif protecteur, cet apaisant récif des plages océaniennes mortes. Ici la mer vit, et bat, et ronge. La houle entre dans la baie, roule sur la plage blonde ou brune, suivant les jets de lave éructés jadis par les cratères éteints.

Et dans ces barrières strictes, un fouillis de masses vertes, de palmes ocreuses frissonnant au vent, de colonnades arborescentes hissant vers la lumière les efflorescences pressées. De l’eau bruit partout, crève sur la montagne, détrempe le sol, serpente en rivières au lit de galets ronds. Tout vit, tout surgit, dans la tiédeur parfumée des étés à peine nuancés de sécheresse, tout :