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Page:Segalen - L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes.djvu/40

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sur notre littérature, me l’ont signifié sous une forme bien inattendue : un caricaturiste de là-bas a imaginé de me représenter faisant des grimaces, des contorsions devant une glace et les notant sur le papier. Heureusement, je ne me suis pas ému de ces critiques. Mon livre viendra, malgré tout, en son temps »[1].

De la même maladie Aubryet nous a laissé, outre des descriptions exactes à en frissonner comme celles précédemment citées, une très curieuse étude de « Psychologie mondaine ». Narquois et acéré, il note la sympathie première de l’entourage pour le débutant en ces interminables douleurs, l’indifférence finale de tous pour ces dénoûments funèbres qui ont des longueurs.

« Il prenait d’ailleurs plaisir à conter toutes ses angoisses devant le moindre mouvement à faire, le transport de sa chaise à son lit, le plus petit choc prenant tout le suraigu douloureux d’une opération chirurgicale, et ses terreurs, chaque soir, devant la nuit qui venait, et le besoin impérieux, apeuré, qu’il avait de ce tic-tac d’une pendule »[2].

La neurasthénie à forme cérébrale, pour être d’allure moins suppliciante, est tout aussi féconde. Elle a présidé, de l’aveu formel des de Goncourt, à la genèse douloureuse de leur œuvre totale ; et c’est peut-être son originalité, écrivait Edmond à Zola, au lendemain de la mort de son frère, « que ces peintures de la maladie, nous les avons tirées de nous-mêmes, et qu’à force de nous détailler, de nous étudier, de nous disséquer, nous sommes arrivés à une sensibilité supra-aiguë que blessaient les infiniment petits de la vie. Je dis nous, car, quand nous avons fait Charles Demailly, j’étais plus malade que lui. Hélas ! il a pris la corde, depuis. Charles Demailly ! C’est bien singulier, écrire son histoire quinze ans d’avance ! Cette histoire, cependant, n’a pas été, Dieu merci, tout à fait aussi horrible »[3].

  1. Chron. médicale, 15 fév. 1896, p. 103.
  2. Claretie, Vie à Paris, 1889, p. 445-446.
  3. Chronique médicale, 15 février 1896.