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Page:Segalen - L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes.djvu/49

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De telles expériences ne valent que par les résultats artistiques qui peuvent en découler. Et parmi les genres variés que l’homme inventa de se désagréger, tous ne sont pas susceptibles d’être l’objet d’esthétiques recherches. Outre qu’il est souvent délicat de déterminer où finit l’expérimentation sincère — et commence l’habitude naissante, — il se trouve dans la hiérarchie par degré d’intellectualité des intoxications, des modes stériles, — les uns par amnésie subséquente (alcool) — les autres par sécheresse, infécondité spécifique (nicotine)[1]. L’on ne saurait reprocher à Zola de n’avoir pas couronné la documentation nécessaire à l’Assommoir — et en particulier à la scène magistrale de delirium qui la clôt — par une personnelle expérience d’éthylisme suraigu. Ni, de même, à André Couvreur — de ne s’être adonné aux liqueurs spiritueuses pour mieux se préparer à décrire dans sa Source fatale les méfaits supra-connus du fléau — mais il reste heureusement aux littérateurs un champ immense, vieux comme le monde, à exploiter ; un champ aux récoltes aussi toxiques que les plus vénéneuses plantations. L’alcaloïde qui s’en extrait n’est point susceptible de se réduire en formules actuelles ; il n’appartient « ni à la chimie minérale, ni à la chimie organique, il appartient à la psychologie… »

« C’est un poison tout de même et se comportant comme un poison »[2]. Ses symptômes extérieurs sont communément désignés dans la toxicologie mentale sous la rubrique : Intoxication-Amour.

Car l’amour, a très finement indiqué M. le docteur Maurice

    fumeur, ce qui est absolument dissemblable comme symptômes et pronostic. « Le fumeur d’opium est aussi différent de celui qui avale le produit que manger un cigare pourrait l’être de le fumer. Tous les alcaloïdes, la morphine en particulier, ne sont que peu volatils à 250°, température ordinaire à laquelle l’opium bout et s’évapore en dégageant des vapeurs (et non fumée) bleuâtres que le fumeur absorbe. Cette vapeur est donc beaucoup moins toxique que l’opium lui-même ». Dr Laurent, Psycho-physiologie du fumeur d’opium, extrait d’un manuscrit encore inédit.

  1. Nous parlons ici des intoxications prises comme matière à description et non considérées comme excitants propres à fouetter le cerveau.
  2. Dr Maurice de Fleury, Introduction à la médecine de l’esprit.