Page:Segalen - L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes.djvu/57

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tous mes efforts pour y atteindre. L’état de la bouche, béante comme un trou, des dents « déchaussées et jaunies par un tartre fuligineux », de la langue, sèche, coupée de crevasses, noirâtre et tremblante ainsi qu’une « langue de perroquet » de même la coloration violette des gencives, sont reproduits d’après l’observation directe, et je n’ai rien enjolivé, ou plutôt… enlaidi. Le délire revient plus violent pendant le second stade de la maladie puis les évacuations intestinales, les vomissements de bile, d’une odeur infecte et enfin apparaît la troisième période, où le mal évolue vers le mieux ou le pire. Mon malade revient à la vie grâce à la médication stimulante, les préparations de musc, de quinine, etc. et peut-être aussi grâce à la nature médicatrice. Enfin, j’ai décrit la convalescence avec les phénomènes qui l’accompagnent ; les fringales surtout ; l’appétit d’aliments… et du reste, vous comprenez sans que j’aie besoin d’insister ! »[1].

Nous n’avons pas voulu morceler ce récit, bien qu’il portât en grande partie sur l’observation directe, pour donner un exemple concret de l’étroite façon dont s’engrènent et se complètent — avons-nous dit — les différents modes d’investigation médicale.

Nous voici de retour à l’œuvre de M. Zola, exemple-type d’érudition médico-littéraire, œuvre énorme en raison de l’énormité du procédé, œuvre lourde en raison du défaut d’assimilation de plusieurs de ses matériaux, œuvre imprudente, souvent, en raison des droits arrogés, mais œuvre superbe, de par sa sincérité. Nous allons en tenter une monographie clinique.

La tâche est aisée. M. Zola, dans un de ses derniers ouvrages, plaidoyer exclusivement littéraire, a pris soin, très amplement, de nous en fournir les matériaux. La justification nécessaire de son livre « Rome », à propos duquel on le taxait de compilateur, reste en même temps un excellent aveu de ses procédés préférés :

  1. Chronique médicale, 15 janvier 1896, p. 36.