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Page:Segalen - L’Observation médicale chez les écrivains naturalistes.djvu/72

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guère la peine qu’on en salisse sa mémoire, et que jamais des médecins sérieux ne daigneront s’en servir, autant par respect pour la philologie que dans l’intérêt véritable du progrès de notre art »[1].

Flaubert a judicieusement évité ce défaut. Il réussit à peindre — et au vif — une intoxication par l’arsenic, un cas d’asphyxie croupale, le tout sans paraître savoir qu’il existât des modes techniques de traiter ses tableaux. Pourtant, si bien apparenté, il était proche de cette documentation verbale que d’autres ont si malheureusement confondue avec la documentation verbeuse, le verbiage professionnel. Délibérément donc il écarta de ses descriptions le terme savant, taré pour lui de partialité scientifique, souvent insuffisant sous une allure pédante, pour lui substituer le verbe impersonnel et vrai. Il décrivit, non des maladies, mais des malades. Il retint le symptôme, le présenta sans souci d’étiquette. Il fut, en cela, véritablement clinicien.

Pourtant, multiples et variés se dénombrent en son œuvre les termes purement et même pompeusement médicaux. Mais ils n’y sont point, au hasard, semés ; toujours ils paraissent en des endroits d’érudition factice ; c’est-à-dire quand l’entrée ou le discours d’un personnage pédant lui-même, les excuse, les nécessite. Ainsi, ils ne surviennent, en l’épisodique empoisonnement de Mme Bovary, qu’au moment de la discussion médicale qui suit l’incident, alors que MM. Homais, pharmacien, Canivet, chirurgien, et Larivière, docteur, se consultent et ergotent, doctement. Ils sont justifiés également dans les préparatifs de Charles Bovary avant la ténotomie célèbre. « Or, puisque c’était un équin, il fallait couper le tendon d’Achille, quitte à s’en prendre plus tard au muscle tibial antérieur, pour se débarrasser du varus »[2].

Ainsi procédèrent très judicieusement les frères de Goncourt. Ils ne hasardent le terme technique que lorsque le milieu, l’at-

  1. Trousseau, in op. cit.
  2. Madame Bovary, édit. Lemerre, II, p. 18.