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LES HORS-LA-LOI


LE DOUBLE RIMBAUD


On sait comment Arthur Rimbaud, poète irrécusable entre sa quinzième et sa dix-neuvième année, se tut brusquement en pleine verve, courut le monde, fit du négoce et de l’exploration, se refusa de loin à ce renom d’artiste qui le sollicitait, et mourut à trente-sept ans après d’énormes labeurs inutiles. Cette vie de Rimbaud, l’incohérence éclate, semble-t-il, entre ses deux états. Sans doute, le poète s’était déjà, par d’admirables divagations aux routes de l’esprit, montré le précurseur du vagabond inlassable qui prévalut ensuite. Mais celui-ci désavoua l’autre et s’interdit toute littérature. Quel fut, des deux, le vrai ? Quoi de commun entre eux ? Pouvait-on, les affaires bâclées et fortune faite, espérer une floraison, un achèvement ou un renouveau des facultés créatrices ? Cela reste inquiétant de duplicité.

§

Poète, Rimbaud le fut absolument, péremptoirement. On ne peut rien conclure de pièces de collège comme les Étrennes des orphelins, où la note pathétique pleurniche sur un mode cher à François Coppée :

Votre cœur l’a compris, ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis, et le père est bien loin !…[1]


mais déjà le désir de l’en-allée incertaine surgit :

Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, — heureux comme avec une femme[2].

  1. Œuvres de J.-A. Rimbaud, édit. du Mercure de France, p. 12.
  2. Ibid., p. 24.