les yeux grands ouverts, les lèvres serrées, avec une secousse du gosier, des hoquets, des toux. Mais aussitôt, une fumée joyeuse leur soufflait dans la tête ; leurs regards se balançaient dans une brume où pétillaient toutes les lumières, où se tordaient les mâts et les agrès. Voici même que le pont du navire, bien que l’eau fût paisible, devenait onduleux comme une houle… Et c’était fort amusant.
Eréna buvait avec hâte. Son amant était loin, en vérité, très loin. Avait-elle encore un tané… Un tané Farani, ou bien de sa couleur ? Mais tous ceux-là qu’elle avait enserrés de ses jambes, depuis le temps où elle était petite et maigre de corps, tous ceux-là se mélangeaient en un seul, imaginé au seul moment de l’amour et lui donnant, par toute la peau, d’agréables frissons. Peu lui importait d’en connaître le visage.
Soudain, elle entrevit son nouveau père et courut à lui, craintive un peu. Mais Térii avait déjà, dans le creux du bateau, festoyé parmi ses compagnons de voyage. Il ne parut point irrité à la voir. Même, il dit à Eréna, montrant à la fois un matelot qui passait et une coupe vide : — « Demande pour moi du áva Farani… ils ne veulent plus m’en donner ! »
Eréna en obtint vite un plein bol, et le rapporta fièrement : ainsi se ménagerait-elle les bonnes grâces du tané de sa mère. Celui-ci but avec prestesse, en grimaçant beaucoup. Il souffla : « Je suis content » et tendit une seconde fois la coupe. Mais Eréna avait disparu, entraînée par le bon matelot généreux.