Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/227

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Les chanteurs, appliqués à conformer les ébats de leurs gosiers aux dures mélodies prescrites, psalmodiaient — comme ils disent, — à perte de salive. Des gens, — que leur métier d’autrefois désignait pour cette tâche : dérouler sans erreur les beaux récits du Livre, les haèré-po des temps ignorants, — étouffaient avec joie leur mémoire païenne. Et désormais, c’était les séries d’ancêtres de Iésu-Kérito, fils de Davida, qu’ils répétaient sans trêve, les yeux clos, le cou tendu, avec des lèvres infaillibles. Si bien que les Missionnaires émerveillés ne cessaient de rendre grâce au Seigneur : « Par qui, ces hommes avaient été choisis, dénoncés, élus pour conserver la Bonne-Parole. » Et la Bonne-Parole, en effet, bruissait dans toutes les bouches. Les fabricants de signes-parleurs — que ne troublaient plus les guerriers en quête de balles, — s’étaient remis à l’œuvre et livraient, par centaines, plus vite qu’on aurait imaginé, ces feuillets blancs tatoués de noir. On les roulait ensuite sur eux-mêmes. Mieux encore : on coupait ces feuillets en morceaux d’égale grandeur, pour les coudre entre deux lames de bois recouvertes de la peau d’un chat.

Tous en réclamaient ; même les aveugles. Comme les fétii hésitaient à leur confier ces objets inestimables, — inutiles, croyait-on, à des gens dont les yeux regardent la nuit, — le prêtre Noté avait parlé sur un mode véhément : « Donnons le Livre à ceux-là qui ne voient point. Car c’est vraiment la Lumière