Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/253

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fines, seulement, et à la dérobée. Puis il s’esquiva. Hors de vue, il vêtit les nattes : couvert ainsi qu’un vil ignorant d’autrefois, il ne risquait point de lever la défiance des fous. Il atteignit l’eau Tipaërui. Il tourna brusquement sa marche vers les terres-du-milieu.

Ainsi, durant une autre nuit, déjà, voici tant d’années, lui-même avait mené, le long d’une autre rivière, vers le lac dont les eaux sommeillent, une foule enthousiaste pendue à ses pas. — Mauvais souvenir, et parler païen ! Le vieux Paofaï avec ses histoires de sorcier en était la cause. Il est des gens dont l’approche équivaut à tous les maléfices. Mais qu’importaient les racontars et les erreurs de temps bien oubliés déjà, — à juste titre ! Cette nuit, que voilà, le chrétien n’avait plus rien à faire qu’à servir le Seigneur.

Aussi bien, la remontée de la rivière devenait-elle ardue : un vivant, même un baptisé qui sait à quoi s’en tenir sur les esprits-rôdeurs, ne marche point dans l’obscur, du même entrain qu’au plein jour levé ! L’haleine s’angoisse très vite, et s’écourte ; les jambes vacillent ; les oreilles s’inquiètent à n’entendre que le bruit des pas dans l’eau ou sur les feuilles humides ; et les yeux s’effarent qui ne servent plus à rien. Le marcheur indécis s’alarmait du silence, de l’ombre épanchée autour de ses pieds, et surtout du ciel éteint par-dessus sa tête : Hina-du-firmament était morte pour deux nuits encore, et de lourdes