que ne pouvait faire n’importe quel manant parmi la troupe des chrétiens… Les chefs ! qui donc les avait, plus que les Missionnaires, desservis aux yeux de tous, et déconsidérés ! Qui donc avait enseigné avec plus de force et de succès le mépris des maîtres anciens ! « Autrefois, quand l’Arii demandait au manant : — « À qui est ce cochon ? » — « Notava ! » répondait l’homme avec empressement, « à toi, comme à moi ! » Et l’on se hâtait à changer de mots, pour mieux honorer le chef, reflet du dieu. On n’eût pas osé lui dire : « Aroha ! » comme au simple prêtre, mais : « Maéva nui ! » Si l’on faisait sa louange ; si on le suppliait, si on le nommait heureux à la guerre et puissant auprès des femmes, même si par improviste on le déclarait menteur et lâche, n’usait-on point du mot noble, du mot réservé ! Car le chef était divin par sa race et par son pouvoir. — Maintenant, les Piritané ne sont-ils point venus dire : « Ce sont des hommes à deux pieds, comme vous ! » et depuis, les chefs à deux pieds ont besoin de mendier les offrandes, ou de menacer, pour que leur ventre ne reste point affamé. Ils ne réclament plus des vocables superbes, et se contentent des paroles soufflées par tous les esclaves et salies dans les plus vils gosiers ! Ils ne chargent plus les porteurs-de-chefs de leurs fardeaux, majestueux à l’égal des simulacres divins : les prêtres portaient le dieu ; les hommes portaient le chef ! — mais, s’ils n’agitent pas encore leurs petits membres sur le sol, ils consentent à grim-
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