Page:Segalen - Les Immémoriaux.djvu/107

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les autres ciels, les autres terres, pour tout cela qui se dérobait à lui, qui fuyait ses yeux, ses mains… — Ha ! il mourrait à tout cela ? Dans un grand effort, il souleva ses pieds restés vifs ; il secoua ses membres, humains encore ; il retrouvait tout son être d’homme, resté homme, et le ressaisissait. Puis, étreint d’une peur sans nom, il bondit hors du trou, creva le fourré derrière lui, s’y vautra, heureux de manger le sol et de courir et de vivre encore et enfin. Par grands sauts joyeux il échappait à ses fidèles, aux dieux, aux prodiges promis.

Bien avant le jour, les disciples de Térii guettaient le tertre isolé. La forme du vivant se confondait avec les arbres sombres. On le devinait toujours immobile : « bras levés, jambes droites ». Certains se hasardèrent. C’étaient les plus enthousiastes et les mieux confiants. Ils contemplèrent, avec un dépit, la place déserte, et ils riaient, dans leur embarras. — Cependant, on ne pouvait désappointer le peuple, ni compromettre, par avance, sa ferveur pour de nouveaux inspirés ! Il convenait de façonner vite un prodige : les uns voulaient planter là quelque feuillage et le donner en vénération. D’autres n’osaient ; mais, choisissant un bloc de pierre grise crevassé d’empreintes imprévues, ils le roulèrent au bord du trou ; puis, éveillant la foule avec de grands cris, ils proclamèrent l’excellence et les pouvoirs de leur