Page:Segalen - Les Synesthésies et l’école symboliste.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

De la musique, encore et toujours…

Et l’appel fut entendu. Au polychrome héritage des Romantiques, les Poètes d’aujourd’hui ont mêlé la polyphonie de leurs rythmes plus souples. « … Il suffit, » constate Saint-Pol-Roux, grand-maître lui-même de tels artifices — « il suffit d’ouvrir un livre leur pour que vous giclent au visage les mots, insectes piqués trop vivants qui s’émanciperaient de l’épingle. Et des couleurs variées, comme par une plume trempée çà et là dans l’arc-en-ciel, à telles enseignes que m’étonnent les salons de peinture sans, à la cimaise, telles pages de nos meilleurs écrivains ! Et des parfums ! Et des saveurs ! Écriture dévient orchestration. Griserie prestigieuse ! Ah ! ce n’est pas encore la forme en soi, mais son épure, son lavis, sa maquette, son écho, son odorance, son ombre, le fantôme de cette forme, du moins[1] ! » Et plus loin : « En écriture, de par l’abondance, je procède musiciennement, perchant les mots sur des portées d’orchestration : Voici les cordes et les bois, voilà les cuivres et la batterie. »

Mais chaque compositeur a ses timbres de prédilection : Massenet choie les tonalités chaudes du violoncelle et Reyer les accents empourprés du cor. Chez Saint-Pol-Roux, dont les visions ataviques restent ensoleillées et brutales, magnifiquement[2], et « qui, malgré les mélancolies de l’exil, persiste à rendre du soleil », les cuivres dominent.

  1. Les Reposoirs de la Procession.
  2. « Voici la Ville de Marseille, aux environs de laquelle je naquis, et dont, après plus de vingt ans d’absence partielle, j’épands toujours la semence d’or vif en mes filons d’encre, car cet art, que d’aucuns, pâles, me reprochent, n’est, en somme, qu’une apothéose de joies naturelles et d’énergies humaines. » (Les Reposoirs de la Procession.)