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Page:Segalen - Les Synesthésies et l’école symboliste.djvu/20

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sature enfumée des voûtes ; il est lent et nocturne comme eux ; il ne se tend que dans l’obscurité, ne se meut que dans la pénombre marrie des cryptes. »

Et c’est encore des formes oppressantes d’arcs surbaissés qu’évoque le « Dies iræ », l’hymne désespéré du Moyen-Âge, formé « des alluvions douloureuses des temps ».

« Une basse profonde, voûtée, comme issue des caveaux de l’Église, soulignait l’horreur des prophéties, aggravait la stupeur des menaces. »

De la sécheresse des droites et des courbes, des diagrammes et des abstractions de l’Espace, voilà donc issue une procession d’images neuves, une série tenue, ordonnée, cohérente de Figures littéraires qui n’ont pas, comme seule raison d’être, leur beauté et leur nouveauté, mais répondent à des modes réels de Pensers associés.

Renversons maintenant les termes. De l’Audition colorée, passons à l’évocation, par la couleur, de la sensation auditive. Le phénomène est plus rare, et plus rare aussi son emploi artistique. Léo Delibes en usa finement dans l’orchestration de Lakmé, où les deux flûtes, à l’unisson, soulignent, en l’arpège suraigu d’un accord de septième diminuée, l’évocation de la lueur acérée d’un poignard[1]. Du même ordre d’idée, d’ailleurs, tout rythme imitatif : la Chevauchée des Walküres, la Forge de Siegfried, la descente persistante des basses au Déclin des Dieux, le long « glissando » des harpes accompagnant, dans Parsifal, la trajectoire sifflante de la lance décochée par Klingsor.

Et nous dirions, plus synthétiquement encore, que le leit-motif lui-même, ce puissant moyen

  1. Lakmé, acte III.