Aller au contenu

Page:Segalen - Les Synesthésies et l’école symboliste.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bien du mal par la distinction des couleurs, en remontant du blanc au noir…[1] ». « Et il est certain que cette faculté gagne notablement en vivacité dans les moments de fatigue, d’énervement, d’émotivité… » — « Il va sans dire, écrit Flournoy, que conclure de là à la nature pathologique de l’audition colorée aurait la même valeur que traiter la mémoire ou l’association des Idées de phénomènes maladifs, parce qu’elles sont souvent surexcitées ou accélérées dans le délire de la fièvre ou de l’aliénation mentale[2]. »

Le haschisch peut également les provoquer, extemporanément. Mais l’idéation du haschisché n’est pas détraquée, seulement « emballée ».

Enfin, il ne semble pas que les synesthésies réclament, pour se produire, un cerveau particulièrement affiné, ni un mécanisme délicat jusqu’à la morbidesse. Elles n’excluent pas un équilibre honorable, une bourgeoisie des facultés de l’esprit. Lemaître, dont l’enquête porte sur 4 classes du collège de Genève, les trouve « plus fréquentes qu’on ne pourrait le supposer » chez des garçons de 13 à 14 ans. Il ne paraît pas avoir noté, parmi eux, beaucoup d’enfants prodiges. La corrélation sensorielle peut être l’apanage des simples, des médiocres, en dépouillant ce vocable du sens péjoratif habituel.

Il est, au fond, très illusoire et factice de vouloir englober, sous une même rubrique indulgente ou impitoyable, une telle hétérogénéité de phénomènes. Toute synesthésie normale et saine tant qu’elle reste dans la sphère intellectuelle (catégorie A), pourra, chez le même sujet, devenir symptoma-

  1. Legrain, cité par Max Nordau, in Dégénérescence, t. I.
  2. Destouches, op. cit., p. 26.