Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/308

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pe, et il se voit sans refuge. Dans de pareils instans que reste-t-il des désirs qui nous subjuguaient ? Le prestige qui faisait de nos intérêts présens notre unique pensée, où est-il lorsque la terre se refroidit sous nos pas, lorsque la ma-rche est timide, la main tremblante, et la respiration incommode, lorsque la parole même devient difficile, lorsque le matin n’a plus de fraîcheur et le soir plus de sécurité ? Il n’appartient qu’au sage de conserver une ame ferme dans un corps débile, et de garder le sentiment de la dignité humaine quand le front s’abaisse, quand la mémoire se trouble, quand un dépérissement certain ne laisse plus qu’une attente redoutable.

Soit que le juste lui-même doive mourir réellement, soit qu’il puisse revivre, son ame timorée est du moins exempte de terreur. En effet si l’avenir nous est refusé, nul ne pourra gémir de cette perte immense. Que regrette-t-on quand rien ne subsiste ? Il pouvait être beau d’exister ; n’exister plus est indifférent. Et, au contraire, si une vie plus forte nous est destinée, si notre espoir religieux n’est pas un signe de démence, si l’harmonie de la pensée n’a pas été un leurre continuel, subissons avec calme le changement qu’il a fallu prévoir. Cet instant solennel dévoile enfin l’existence vraie dont nous séparait l’illusion du monde. Les lueurs sont dissipées ; la