Page:Senancour - Rêveries, 1833.djvu/68

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venable, facile, spécieux, elle rejette ce qui serait odieux ou repoussant, vil ou trivial, ou même ce qui resterait indifférent. Attentive à écarter ce qui dénaturerait le plaisir, elle le multiplie par cela même, et le prolonge. En se manifestant surtout par des choix sévères, elle persuade, soit aux autres, soit à nous-mêmes, que nous l’emporterons sur la plupart des hommes dans l’art d’éprouver ou de communiquer les séductions de la vie.

Lorsque cette délicatesse, exempte d’excès et de ridicule, se borne à rendre les impressions moins fugitives, elle ennoblit nos procédés en modérant notre humeur, et elle prévient beaucoup de maux qui, dans le principe, ne sont aperçus que d’elle seule. Quelque frivole qu’on puisse la supposer, elle contribue à l’agrément de la vie ; elle convient surtout a ceux qui n’auraient plus d’activité s’ils n’étaient pas conduits par leurs habitudes, ou qui souvent ont besoin de précaution pour n’être pas émus péniblement.

L’habitude ne peut remplacer ou changer les lois de la nature, mais elle est elle-même une de ces lois chez les êtres animés : par elle l’objet qui nous fût devenu étranger nous reste favorable. Un plaisir isolé, quelque vif qu’il pût être, ne laisserait qu’un stérile souvenir ; mais une jouissance habituelle se