peines ; car, des hommes constamment malheureux ne se sont pas ennuyés un jour : il ne vient pas non plus de l’oisiveté, car nul n’est plus oisif que les sauvages de la Torride, et ces sauvages ne s’ennuient pas. Toutes ces choses ne sont que des causes accidentelles qui facilitent ou déterminent l’ennui, mais ne
pation qui mène aussitôt (parmi nous) au dégoût de tout plaisir et à la satiété de la vie.
Voyez cette classe supérieure, où l’on admire son sort en détestant son existence, où l’on envie malgré soi ses inférieurs que l’on méprise hautement, où quelquefois on les envie pour ne les secourir pas, et on les méprise pour les envier moins ; cette classe, but de tous les travaux, objet des complaisances de tous les gouvernemens, gloire de l’espèce humaine, œuvre par excellence de la nature, déïté que tous les arts nourrissent et qu’encensent tous les talens. Mais, comme ces dieux indiens élevés au-dessus des jouissances, dont les prières et les hommages n’obtiennent pas même un sourire, et qui ne sont dieux que par leur suprême inaction ; ces hommes supérieurs, tristes favoris du sort, malheureux par les sacrifices mêmes dont ils sont l’objet, malheureux de leurs propres privilèges, fatigués de leur funeste majesté, dédaignent leurs adulateurs ; trop grands pour agir, baillent au milieu de l’encens ; et trop excellens pour ne pas tout posséder indifféremment, ne se soucient plus ni d’aucune chose, ni d’eux-mêmes.