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De ces deux voies heureuses qui restent seules à l’homme des sociétés ; l’une est le vin[1], l’autre est la philosophie la plus profonde.

Si les effets des spiritueux et des fermentés n’étoient point passagers et destructifs, il n’est pas un homme vraiment détrompé[2], il n’est pas un sage qui ne les préférât à la plus sublime indifférence de la philosophie. Mais le bonheur ne consiste point dans des instans isolés d’énergie, de volupté ou d’oubli. Le bonheur est une succession presque continue, et durable comme nos jours, de cet heureux concours de paix et d’activité, de cette harmonie douce et austère[3] qui est la vie du sage.

Toute joie vive est instantanée, et dès-lors funeste ou du moins inutile ; le seul bonheur

  1. Et tout ce qui produit des effets analogues, comme le café, l’opium, etc. L’ivresse (sans excès) ramène à la nature, en fortifiant la sensation présente, en effaçant celles de prévoyance et de réminiscence ; elle rend un moment heureux en faisant vivre dans le moment qui s’écoule.
  2. Ce n’est pas à la foule des lecteurs, ce n’est pas non plus à celle des philosophes que j’en appelle ici.
  3. Res severa est verum gaudium, a si bien dit Sénèque.