Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/139

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comme ces vieillards dégoûtés de toute chose sérieuse, et qui reprennent avant la mort les jeux du premier âge, trouvant que ce n’est plus la peine de rien entreprendre de meilleur.

Vainement ton génie inquiet te commande de grandes choses, vainement ta profonde sensibilité t’apprend ce qui seroit convenable à ta nature dans la multitude des choses possibles que le présent ne contient point : elles seront, mais alors tu ne seras plus. Cela est contradictoire à tes yeux ; tu cherches à toute chose une raison semblable à celle que l’homme éprouve en lui lorsqu’il se détermine. Mais la raison du cours de l’univers est composée de rapports si innombrables, que beaucoup de rapports particuliers ne peuvent lui être coordonnés. Bien d’autres auront senti de même, et tandis qu’ils plaignoient dans leur solitude le malheur des hommes, la terre, qui n’en a rien su, adoroit ses dévastateurs. Depuis cinquante siècles connus, elle rampe avec la même stupidité de misères en misères. Que sont donc tes prétendus droits au bonheur ? tu parois un jour sur le fleuve du monde, comme ce flot passager qui s’élève et s’efface sur le torrent des eaux. Si toute substance est éternelle, tout mode est passager : le principe est