Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/142

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opinion que tu ne puisses les entendre. Ils ont voulu modeler tous les hommes sur leurs formes étroites ; ils ont appelé romanesque tout ce qui n’étoit pas selon leurs habitudes ; ils ont appelé gigantesque tout ce qui n’étoit pas petit comme eux : mais dis-leur, il est un autre ordre de choses que celui que vous avez fait ; il est une autre prudence, une autre sagesse, une autre grandeur, que la grandeur, la prudence ou la sagesse que vous vantez ; il est, pour les génies que vous n’entendrez pas, une destination différente de celle que vous prétendez sentir et suivre. Voulez-vous qu’il se traîne sur vos traces, celui qui marche avec la nature entière ; qu’il soit semblable à vous, lui dont l’être caractérisé n’est semblable qu’à lui-même ; ou qu’il reste dans vos limites, lui dont la sphère est l’univers. Laissez à chaque être sa destination 5 la sienne est d’être indifférent à toutes choses, parce qu’il les voit toutes également, et supérieur à toutes atteintes, parce qu’il les a toutes prévues ; la vôtre est de végéter dans vos habitudes serviles, et de poser plaisamment à votre étroite enceinte les bornes du monde. Regardez la vie de vos semblables, et expliquez, si vous le pouvez dans vos systèmes, la raison de leur existence : prenons