Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/144

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trouver ; plus vieux encore, il y renonce. Il croit ce qu’il ignore, il s’empresse pour ce qui lui nuit, il fait ce que l’on fait auprès de lui. Il abhorre sans cause, il aime par erreur, il se livre par imprudence, s’épuise sans le savoir, se détruit pour se conserver, et meurt quand il prétend commencer à vivre. L’injustice ou l’ineptie lui dicte des lois, une morale absurde prétend régler son cœur ; il vénère ou méprise, fait ou s’abstient, chérit ou déteste, selon les lieux qu’il habite, les hommes qu’il a connu, les humeurs qui dominent en lui ; selon qu’il est sanguin ou mélancolique, sobre ou ivre, occupé ou ennuyé, paisible ou agité. Il ignore aujourd’hui ce qu’il sera demain : il ignore même s’il est tel qu’il se croit sentir, s’il peut résoudre librement, si sa raison n’est pas une folie systématique, et sa prudence une froide témérité ; si la ruine des plus grands desseins n’est pas la suite indirecte de leur profonde conception ; si la vertu est bonne, l’esprit un avantage, la santé même un bien, et la vie quelque chose d’effectif, ou une série de perceptions fantastiques. A-t-il marqué la borne entre la foiblesse ou la bonté, la grandeur ou l’orgueil, l’enthousiasme ou le fanatisme, l’énergie ou la passion, la froideur ou