Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/161

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dent est aggravé par une réaction plus funeste. Les fautes de la témérité appellent les cruautés de la vengeance ; les maux personnels enfantent les maux publics ; l’injure d’un seul allume des fureurs générales ; les guerres nécessitent les dévastations, et le sang ruisselle plus abondamment sur la trace du sang qui n’a pas tari. Quand un fléau cesse, tremblez qu’il ne soit absorbé dans une calamité plus grande. Les passions sociales ont prouvé que les crimes étoient nécessaires : on les a légitimés pour qu’ils soient plus sûrement interminables. L’oppresseur que l’on n’aime plus doit se faire craindre. La religion qui s’affoiblit va lancer ses foudres. La foiblesse, menacée par la haine ouverte, appelle la trahison qui élude. Le bien que l’on promet déguise le mal que l’on va faire ; l’intérêt de tous que l’on prétexte justifie celui de plusieurs que l’on cherche, ou prépare la ruine générale que l’on médite. Tromper les hommes est l’adresse d’un guide profond ; les sacrifier en masse est une mesure de sûreté ; les égorger est trop équitable. La victime doit être enviée sous le couteau consacré, et l’on insulte aux morts que l’on a dévoués par le rare bienfait d’une gloire qu’ils n’ont pas voulu. Quand le crime a choisi ceux qu’il