Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/163

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d’illusion. Mais qu’importent à l’adroit dominateur les siècles éloignés, si la génération qu’il séduit le sert et l’encense ? Qu’importe à Odin que ses institutions sanguinaires le fassent abhorrer un jour, pourvu qu’il répande dans le Nord la terreur de son nom et qu’il l’arme tout entier pour sa vengeance[1] ; ou à Mahomet que le voile imposteur soit enfin déchiré, s’il sort de l’obscurité dont il s’irrite, s’il est adoré des juges qui l’ont banni, s’il élève ses sectaires sur les débris du monde ? Nations, voilà vos législateurs !

Les vues particulières de l’ambition, de l’orgueil ou des vengeances, de fausses idées de grandeur et de gloire, de tristes erreurs sur les vraies sources de la prospérité d’un peuple, ont entraîné ou séduit les modérateurs des destinées humaines. L’homme de la nature fut par-tout méconnu : l’on s’efforça sous cent formes erronées de produire l’homme imaginaire, le fantôme de la perfection sociale. Une morale systématique, des lois de circonstance,

  1. On prétend que ce scythe n’a parcouru le Nord en conquérant, que pour le soulever contre les Romains, à qui il avoit juré une haine irrévocable. Voyez l’Introduction à l’Histoire de Danemarck, par Mallet.