Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/213

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Comment l’objet de la vie est-il placé hors de la vie ? est-ce là l’ordre naturel, ou le rêve de l’homme ? Si l’on dit : vis de telle sorte qu’à la mort tu n’ayes ni regrets, ni remords ; celui qui a joui du présent, parce qu’il n’attendoit pas d’avenir, mourra-t-il moins ainsi que celui qui a sacrifié sa vie réelle pour une meilleure qui, à sa mort même, n’est encore dans sa propre conviction qu’un espoir incertain. Si l’on dit : vis présentement de telle sorte que ta vie soit améliorée et prolongée dans le tems sans bornes ; pourquoi changer une hypothèse en assertion ? parle-t-on aux sectaires au lieu de parler à l’homme ? Si cette existence nouvelle est essentiellement différente, comment le mode de l’une décide-t-il le mode de l’autre ? et si elle est la même… le philosophe aussi ressuscite-t-il des cadavres ? Chaque pas creuse un abîme dès que l’on veut faire de l’inconnu la raison du connu, et que l’on explique le présent que l’on pourroit entendre par l’inaccessible que l’on prétend deviner.

S’il y a deux substances contraires dans la nature, et que je sois formé de ces deux substances, pourquoi donc mon esprit ne sent-il pas les autres esprits, comme mon corps sent les autres corps ? Cette certitude m’importoit