Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/336

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L’éducation sera essentiellement mauvaise par-tout où elle combattra la nature, elle le sera relativement toutes les fois qu’elle ne s’accordera point avec tous les moyens physiques ou moraux qui tendent comme elle à modifier l’homme. L’opposition entre nos besoins et nos préceptes, nos usages et nos lois, fait des devoirs et de toute la conduite de la vie un ténébreux cahos où le méchant audacieux surnage seul, mais où l’homme de bien, dans son incertitude, est toujours englouti.

Nos maux sont les fruits de nos erreurs et non d’une détermination originelle. L’opposition entre nos affections et nos devoirs a entraîné, et comme nécessité, l’imposture ; mais l’examen vient enfin abattre ce vain travail fondé sur le mensonge. Le système de répression n’étoit point celui qui convenoit à l’homme. Au lieu d’opposer à ses impétueux désirs des barrières toujours opprimantes et jamais insurmontables, il falloit le retenir en arrière et l’attacher par un penchant contraire, dans ces mêmes bornes que les dégoûts seuls l’excitoient à franchir.

Le désir de son bien-être est le seul mobile intérieur d’un être animé. C’est l’extension de nos besoins qui a produit toutes les chimères oppressives. Pour gouverner les hommes sans les rendre heureux, il falloit bien les tromper. Langage qu’employa l’imposture. Comment l’homme malgré sa foiblesse vint pourtant à préférer les vertus difficiles aux habitude » heureuses. Comment l’homme, né pour jouir, mit à souffrir et sa gloire et sa passion même. L’homme sans passions seroit contradictoire, son existence est impossible. Les passions font seules notre morale.