Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/40

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désordre, n’existent que pour la foiblesse des mortels : raisons de choix pour la partie isolée, rapports circonscrits dans une sphère individuelle ; mais nuls dans la nature qui, contenant toutes choses, les contient également, subsiste par toutes, et les produit toutes avec une même nécessité.

Que lui importe que le mortel se joue sur la rive fleurie, ou s’engloutisse dans l’abîme des eaux ; qu’il secourre son semblable ou poignarde son ami ; qu’il jouisse ou souffre, naisse ou meure ? Que lui importe que le soc

    mal ? ce qui tend à le détruire : alors cela même seroit un bien pour les individus formés de sa destruction. Quel sera le mai dans la nature impérissable, impassible ? Pourquoi ce mal existeroit — il ? comment y subsisteroit-il ? Tout ce qui est mal, est bien aussi : tout ce qui est bien, est mal sous un autre rapport ; mais comment le résultat universel, l’ensemble des choses, peut-il être bon ou mauvais ? quelle convenance peut être supposée entre tout et lien ? quel rapport entre l’univers et le néant ? Lorsque l’on dit que l’univers est bon, ou qu’il est en même tems bon et mauvais, l’on dit une absurdité ; mais lorsqu’on prétend qu’il est mauvais, il semble que c’en soit une plus grande encore, car l’on sent d’abord que cette assertion en renferme plusieurs également erronnées.