Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/119

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être pas même le Mahomet de l’histoire, tandis qu’il devrait être celui de la tragédie. Cependant il m’a plus satisfait que les deux autres, quoique le second ait un physique plus beau, et que le premier possède des moyens en général bien plus grands. B... seul a bien arrêté l’imprécation de Palmyre. S.-P... a tiré son sabre : je craignais qu’on ne se mît à rire. La R... y a porté la main, et son regard atterrait Palmyre ; à quoi servait donc cette main sur le cimeterre, cette menace contre une femme, contre Palmyre, jeune et aimée ? B... n’était pas même armé, ce qui m’a fait plaisir. Lorsque, las d’entendre Palmyre, il voulut enfin l’arrêter, son regard profond, terrible, sembla le lui commander au nom d’un Dieu, et la forcer de rester suspendue entre la terreur de son ancienne croyance, et ce désespoir de la conscience et de l’amour trompés.

Comment peut-on prétendre sérieusement que la manière d’exprimer est une affaire de convention ? C’est la même erreur que celle de ce proverbe si faux dans l’acception qu’on lui donne ordinairement : Il ne faut pas disputer des goûts et des couleurs.

Que prouvait M. R... en chantant sur les mêmes notes : J’ai perdu mon Eurydice, j’ai trouvé mon Eurydice ? Les mêmes notes peuvent servir à exprimer la plus grande joie, ou la douleur la plus amère ; on n’en disconvient pas ; mais le sens musical est-il tout entier dans les notes ? Quand vous substituez le mot trouvé au mot perdu, quand vous mettez la joie à la place de la douleur, vous conservez les mêmes notes ; mais vous changez absolument les moyens secondaires de l’expression. Il est incontestable qu’un étranger qui ne comprendrait ni l’un ni l’autre de ces deux mots ne s’y tromperait pourtant pas. Ces moyens secondaires font aussi partie de la musique : qu’on dise, si l’on veut, que la note est arbitraire.