Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si je ne puis m’ôter la vie, je ne puis non plus m’exposer à une mort probable. Est-ce là cette prudence que vous demandez de vos sujets ? Sur le champ de bataille, ils devraient calculer les probabilités avant de marcher à l’ennemi, et vos héros sont tous des criminels. L’ordre que vous leur donnez ne les justifie point ; vous n’avez pas le droit de les envoyer à la mort, s’ils n’ont pas eu le droit de consentir à y être envoyés. Une même démence autorise vos fureurs et dicte vos préceptes, et tant d’inconséquence pourrait justifier tant d’injustice !

Si je n’ai point sur moi-même ce droit de mort, qui l’a donné à la société ? ai-je cédé ce que je n’avais point ? Quel principe social avez-vous inventé, qui m’explique comment un corps acquiert un pouvoir interne et réciproque que ses membres n’avaient pas, et comment j’ai donné pour m’opprimer un droit que je n’avais pas même pour échapper à l’oppression ? Dira-t-on que, si l’homme isolé jouit de ce droit naturel, il l’aliène en devenant membre de la société ? Mais ce droit est inaliénable par sa nature, et nul ne saurait faire une convention qui lui ôte tout pouvoir de la rompre quand on la fera servir à son préjudice. On a prouvé, avant moi, que l’homme n’a pas le droit de renoncer à sa liberté, ou, en d’autres ter-