Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/169

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j’ai à décider entre les plus grands intérêts ; et je ne saurais comprendre que faire servir la liberté reçue d’elle à choisir ce qu’elle m’inspire, ce soit l’outrager. Ouvrage de la nature, j’interroge ses lois, j’y trouve ma liberté. Placé dans l’ordre social, je réponds aux préceptes erronés des moralistes, et je rejette des lois que nul législateur n’avait le droit de faire.

Dans tout ce que n’interdit pas une loi supérieure et évidente, mon désir est ma loi, puisqu’il est le signe de l’impulsion naturelle ; il est mon droit par cela seul qu’il est mon désir. La vie n’est pas bonne pour moi si, désabusé de ses biens, je n’ai plus d’elle que ses maux : elle m’est funeste alors ; je la quitte, c’est le droit de l’être qui choisit et qui veut[1].

Si j’ose prononcer où tant d’hommes ont douté, c’est d’après une conviction intime. Si ma décision se trouve conforme à mes besoins, elle n’est dictée du moins par aucune partialité ; si je suis égaré, j’ose affirmer que je ne suis pas coupable, ne concevant pas comment je pourrais l’être.




J’ai voulu savoir ce que je pouvais faire ; je ne dis point ce que je ferai. Je n’ai ni désespoir ni passion ; il suffit à ma sécurité d’être certain que le poids inutile pourra être secoué quand il me pressera trop. Dès longtemps la vie me fatigue, et elle me fatigue tous les jours davantage ; mais je ne suis point exaspéré. Je trouve aussi quelque répugnance à perdre irrévocablement mon être.

  1. Je sens combien cette lettre est propre à scandaliser. Je dois avertir que l’on verra dans la suite la manière de penser d’un autre âge sur la même question. J’ai déjà lu le passage que j’indique : peut-être scandalisera-t-il autant que celui-ci ; mais il ne choquera que les mêmes personnes.