Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/171

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il semble que l’idée d’une vie active m’effraye ou m’étonne. Les choses étroites me répugnent, et leur habitude m’attache. Les grandes choses me séduiront toujours, et ma paresse les craindrait. Je ne sais ce que je suis, ce que j’aime, ce que je veux ; je gémis sans cause, je désire sans objet, et je ne vois rien, sinon que je ne suis pas à ma place.

Ce pouvoir que l’homme ne saurait perdre, ce pouvoir de cesser d’être, je l’envisage non pas comme l’objet d’un désir constant, non pas comme celui d’une résolution irrévocable, mais comme la consolation qui reste dans les maux prolongés, comme le terme toujours possible des dégoûts et de l’importunité.

Vous me rappelez le mot qui termine une lettre de milord Edouard. Je n’y vois pas une preuve contre moi. Je pense de même sur le principe ; mais la loi sans exception qui défend de quitter volontairement la vie ne m’en paraît pas une conséquence.

La moralité de l’homme, et son enthousiasme, l’inquiétude de ses vœux, le besoin d’extension qui lui est habituel, semblent annoncer que sa fin n’est pas dans les choses fugitives ; que son action n’est pas bornée aux spectres visibles ; que sa pensée a pour objet les concepts nécessaires et éternels ; que son affaire est de travailler à l’amélioration ou à la réparation du monde ; que sa destination est, en quelque sorte, d’élaborer, de subtiliser, d’organiser, de donner à la matière plus d’énergie, aux êtres plus de puissance, aux organes plus de perfection, aux germes plus de fécondité, aux rapports des choses plus de rectitude, à l’ordre plus d’empire.

On le regarde comme l’agent de la nature, employé par elle à achever, à polir son ouvrage ; à mettre en œuvre les portions de la matière brute qui lui sont accessibles ; à soumettre aux lois de l’harmonie les composés