Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/183

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âpre et fangeux, où discutent et souffrent, dans une même incertitude, quelques centaines de millions d’immortels gais ou navrés, ivres ou moroses, sémillants ou trompés, nul n’a encore prouvé que ce fût un devoir de dire ce qu’on croit consolant, et de taire ce que l’on croit vrai ?

Très-inquiets et plus ou moins malheureux, nous attendons sans cesse l’heure suivante, le jour suivant, l’année suivante. Il nous faut à la fin une vie suivante. Nous avons existé sans vivre ; nous vivrons donc un jour : conséquence plus flatteuse que juste. Si elle est une consolation pour le malheureux, cela même est une raison de plus pour que la vérité m’en soit suspecte. C’est un assez beau rêve qui dure jusqu’à ce qu’on s’endorme pour jamais. Conservons cet espoir : heureux celui qui l’a ! Mais convenons que la raison qui le rend si universel n’est pas difficile à trouver.

Il est vrai qu’on ne risque rien d’y croire quand on le peut ; mais il ne l’est pas moins que Pascal a dit une puérilité quand il a dit : « Croyez, parce que vous ne risquez rien de croire, et que vous risquez beaucoup en ne croyant pas. » Ce raisonnement est décisif s’il s’agit de la conduite, il est absurde quand c’est la foi que l’on demande. Croire a-t-il jamais dépendu de la volonté ?

L’homme de bien ne peut que désirer l’immortalité. On a osé dire d’après cela : le méchant seul n’y croit pas. Ce jugement téméraire place dans la classe de ceux qui ont à redouter une justice éternelle plusieurs des plus sages et des plus grands des hommes. Ce mot de l’intolérance serait atroce, s’il n’était pas imbécile.

Tout homme qui croit finir en mourant est l’ennemi de la société : il est nécessairement égoïste et méchant avec prudence. – Autre erreur. Helvétius connaissait mieux les différences du cœur humain lorsqu’il disait : « Il y a des hommes si malheureusement nés, qu’ils ne sauraient se trouver heureux que par des actions qui mènent à la