Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/185

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l’individu même, il n’y a point de bonheur sans la raison, et que les vertus sont des lois de la nature aussi nécessaires à l’homme en société que les lois des besoins des sens : » si, dis-je, il était de ces hommes justes et amis de l’ordre par leur nature, dont le premier besoin fût de ramener les hommes à plus d’union, de conformités et de jouissances ; si, laissant dans le doute ce qui n’a jamais été prouvé, ils rappelaient les principes de justice et d’amour universel qu’on ne saurait contester ; s’ils se permettaient de parler des voies invariables du bonheur ; si, entraînés par la vérité qu’ils sentent, qu’ils voient, et que vous reconnaissez vous-mêmes, ils consacraient leur vie à l’annoncer de différentes manières et à la persuader avec le temps : pardonnez, ministres de certaine vérité, des moyens qui ne sont pas précisément les vôtres ; considérez, je vous prie, qu’il n’est plus d’usage de lapider, que les miracles modernes ont fait beaucoup rire, que les temps sont changés, et qu’il faudra que vous changiez avec eux.

Je quitte les interprètes du ciel, que leur grand caractère rend très-utiles ou très-funestes, tout à fait bons ou tout à fait méchants, les uns vénérables , les autres méprisables. Je reviens à votre lettre. Je ne réponds pas à tous les points, parce que la mienne serait trop longue ; mais je ne saurais laisser passer une objection spécieuse en effet, sans observer qu’elle n’est pas aussi fondée qu’elle pourrait d’abord le paraître.

La nature est conduite par des forces inconnues et selon des lois mystérieuses ; l’ordre est sa mesure, l’intelligence est son mobile : il n’y a pas bien loin, dit-on, de ces données prouvées et obscures à nos dogmes inexplicables. Plus loin qu’on ne pense[1].

  1. Il y a effectivement quelque différence entre avouer qu’il existe des choses inexplicables à l’homme, ou affirmer que l’explication inconcevable de ces choses est juste et infaillible. Il est différent de dire, dans les ténèbres : Je ne vois pas ; ou de dire : Je vois une lumière divine ; vous qui me suivez, non-seulement ne dites point que vous ne la voyez pas, mais voyez-la, sinon vous êtes anathème.