Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/247

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aimée d’une autre manière, et il est trop jeune pour prévenir et éviter ce charme qui se glisserait dans un attachement d’ailleurs si légitime. Je ne suis point fâché qu’il parte : vous êtes prévenu, vous lui parlerez avec prudence.

Il me parait justifier tout l’intérêt que vous prenez à lui : s’il était votre fils, je vous féliciterais. Le vôtre serait précisément de cet âge ; et lui, il n’a plus de père ! Votre fils et sa mère devaient périr avant l’âge. Je n’évite point de vous en parler. Les anciennes douleurs nous attristent sans nous déchirer : cette amertume profonde, mais adoucie par le temps et rendue tolérable, nous devient comme nécessaire ; elle nous ramène à nos longues habitudes ; elle plaît à nos cœurs avides d’émotions, et qui cherchent l’infini jusque dans leurs regrets. Votre fille vous reste ; bonne, aimable, intéressante comme eux qui ne sont plus, elle peut les remplacer pour vous. Quelque grandes que soient vos pertes, votre malheur n’est pas celui de l’infortuné, mais seulement celui de l’homme. Si ceux que vous n’avez plus vous étaient restés, votre bonheur eût passé la mesure accordée aux heureux. Donnons à leur mémoire ces souvenirs qu’elle mérite si bien, sans trop nous arrêter au sentiment des peines irremédiables. Conservez la paix, la modération que rien ne doit ôter entièrement à l’homme, et plaignez-moi de rester loin de vous en cela.

Je reviens à celui que vous appelez mon protégé. Je pourrais dire que c’est plutôt le vôtre ; mais en effet vous êtes plus que son protecteur, et je ne vois pas ce que son père eût pu faire de mieux pour lui. Il me paraît le bien sentir, et je le crois d’autant plus qu’il n’y met aucune affectation. Quoique dans notre course à la campagne nous ayons parlé de vous à chaque coin de bois, à chaque bout de prairie, il ne m’a presque rien dit des obligations