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LETTRE LX.

Villeneuve, 16 juin, VIII.

Je viens de parcourir presque toutes les vallées habitables qui sont entre Charmey, Thun, Sion, Saint-Maurice et Vevay. Je n’ai pas été avec espérance, pour admirer ou pour jouir. J’ai revu les montagnes que j’avais vues il y a près de sept années. Je n’y ai point porté ce sentiment d’un âge qui cherchait avidement leurs sauvages beautés. C’étaient les noms anciens, mais moi aussi je porte le même nom ! Je me suis assis auprès de Chillon sur la grève. J’entendais les vagues, et je cherchais encore à les entendre. Là où j’ai été jadis, cette grève si belle dans mes souvenirs, ces ondes que la France n’a point, et les hautes cimes, et Chillon, et le Léman, ne m’ont pas surpris, ne m’ont pas satisfait. J’étais là, comme j’eusse été ailleurs. J’ai retrouvé les lieux ; je ne puis ramener les temps.

Quel homme suis-je maintenant ? Si je ne sentais l’ordre, si je n’aimais encore à être la cause de quelque bien, je croirais que le sentiment des choses est déjà éteint, et que la partie de mon être qui se lie à la nature ordonnée à cessé sa vie.

Vous n’attendez de moi ni des narrations historiques, ni des descriptions comme en doit faire celui qui voyage pour observer, pour s’instruire lui-même, ou pour faire connaître au public des lieux nouveaux. Un solitaire ne vous parlera point des hommes que vous fréquentez plus que lui. Il n’aura pas d’aventures, il ne vous fera pas le roman de sa vie. Mais nous sommes convenus que je continuerais à vous dire ce que j’éprouve, parce que c’est moi que vous avez accoutumé, et non pas ce qui m’environne. Quand nous nous entretenons l’un avec