Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/280

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Ce plaisir reçu, ce plaisir donné ; cette progression cherchée et obtenue ; ce bonheur que l’on offre et que l’on espère ; cette confiance voluptueuse, qui nous fait tout attendre du cœur aimé ; cette volupté plus grande encore de rendre heureux ce qu’on aime, de se suffire mutuellement, d’être nécessaire l’un à l’autre ; cette plénitude de sentiment et d’espoir agrandit l’âme, et la presse de vivre. Indicible abandon ! L’homme qui l’a pu connaître n’en a jamais rougi ; et celui qui n’est pas fait pour le sentir n’est pas né pour juger l’amour.

Je ne condamnerai point celui qui n’a pas aimé, mais celui qui ne peut pas aimer. Les circonstances déterminent nos affections ; mais les sentiments expansifs sont naturels à l’homme dont l’organisation morale est parfaite : celui qui est incapable d’aimer est nécessairement incapable d’un sentiment magnanime, d’une affection sublime. Il peut être probe, bon, industrieux, prudent ; il peut avoir des qualités douces, et même des vertus par réflexion ; mais il n’est pas homme, il n’a ni âme ni génie : je veux bien le connaître, il aura ma confiance et jusqu’à mon estime, mais il ne sera pas mon ami. Cœurs vraiment sensibles ! qu’une destinée sinistre a comprimés dès le printemps, qui vous blâmera de n’avoir pas aimé ? Tout sentiment généreux vous était naturel, et tout le feu des passions était dans votre mâle intelligence. L’amour lui était nécessaire, il devait l’alimenter, il eût achevé de la former pour de grandes choses ; mais rien ne vous a été donné : le silence de l’amour a commencé le néant où s’éteint votre vie.

Le sentiment de l’honnête et du juste, le besoin de l’ordre et des convenances morales conduit nécessairement au besoin d’aimer. Le beau est l’objet de l’amour ; l’harmonie est son principe et son but : toute perfection, tout mérite semble lui appartenir, les grâces aimables