Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/298

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autre terme que celui de mes forces, et encore comment rempliraient-ils un vide sans bornes ? J’ai vu quelque part que l’homme qui sent n’a pas besoin de vin. Cela peut-être vrai pour celui qui n’en a point l’habitude. Lorsque j’ai été quelques jours sobre et occupé, ma tête s’agite excessivement, le sommeil se perd. J’ai besoin d’un excès qui me tire de mon apathie inquiète, et qui dérange un peu cette raison divine dont la vérité gêne notre imagination, et ne remplit pas nos cœurs.

Il y a une chose qui me surprend. Je vois des gens qui paraissent boire uniquement pour le plaisir de la bouche, pour le goût, et prendre un verre de vin comme ils prendraient une bavaroise. Cela n’est pas pourtant, mais ils le croient ; et si vous le leur demandez, ils seront même surpris de votre question.

Je vais m’interdire ces moyens de tromper les besoins du plaisir et l’inutilité des heures. Je ne sais pas si ce que je mettrai à la place ne sera pas moindre encore ; mais enfin je me dirai : Voici un ordre établi, il faut le suivre. Afin de le suivre constamment, j’aurai soin qu’il ne soit ni d’une exactitude scrupuleuse, ni d’une trop grande uniformité ; il se trouverait des prétextes, et même des motifs, de manquer à la règle, et si une fois on y manque, il n’y a plus de raison pour qu’on ne la secoue pas tout à fait.

Il est bon que ce qui plaît soit limité par une loi antérieure. Au moment où on l’éprouve, il en coûte de le soumettre à une règle qui le borne. Ceux même qui en ont la force ont encore eu tort de n’avoir pas décidé, dans le temps propre à la réflexion, ce que la réflexion doit décider, et d’avoir attendu le moment où ses raisonnements altèrent les affections agréables qu’ils sont forcés de combattre. En pensant aux raisons de ne pas jouir davantage, on réduit à bien peu de chose la jouissance