Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/306

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et l’on sait aussi donner sans aucun regret un sac de blé au débiteur pauvre poursuivi par un riche créancier.

Il importe à l’ordre même qu’on le suive sans répugnance. Les besoins positifs sont faciles à contenir, par l’habitude, dans les bornes du simple nécessaire ; mais les besoins de l’ennui n’auraient point de bornes, et mèneraient d’ailleurs aux besoins d’opinion, illimités comme eux. On a tout prévu pour ne laisser aucun dégoût interrompre l’accord de l’ensemble. On ne fait pas usage des stimulants, ils rendent nos sensations trop irrégulières : ils donnent à la fois l’avidité et l’abattement. Le vin et le café sont interdits. Le thé seul est admis, mais aucun prétexte ne peut en rendre l’usage fréquent : on en prend régulièrement une fois tous les cinq jours. Aucune fête ne vient troubler l’imagination par ses plaisirs espérés, par son indifférence imprévue ou affectée, par les dégoûts et l’ennui qui succèdent également aux désirs trompés et aux désirs satisfaits. Tous les jours sont à peu près semblables, afin que tous soient heureux. Quand les uns sont pour le plaisir et les autres pour le travail, l’homme qui n’est pas contraint par une nécessité absolue devient bientôt mécontent de tous et curieux d’essayer une autre manière de vivre. Il faut à l’incertitude de nos cœurs, ou l’uniformité pour la fixer, ou une variété perpétuelle qui la suspende et la séduise toujours. Avec les amusements s’introduiraient les dépenses ; et l’on perdrait à s’ennuyer dans les plaisirs les moyens d’être contents et aimés au milieu d’une bourgade contente. Cependant il ne faut pas que toutes les heures de la vie soient insipides et sans joie. On se fait à l’uniformité de l’ennui ; mais le caractère en est altéré : l’humeur devient difficile ou chagrine, et au milieu de la paix des choses, on n’a plus la paix de l’âme et le calme du bonheur. Cet homme de bien l’a senti. Il a voulu que les services qu’il rend, que l’ordre