Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/308

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du moins certain ; et voyant à quoi je dois m’attacher, je m’efforcerais d’occuper à ces soins journaliers l’inquiétude qui me presse. En faisant dans un cercle étroit le bien de quelques hommes, je parviendrais à oublier combien je suis inutile aux hommes. Peut-être même prendrais-je ce parti, si je ne me trouvais pas dans un isolement qui ne m’y offrirait point de douceur intérieure ; si j’avais un enfant que je formerais, que je suivrais dans les détails ; si j’avais une femme qui aimât les soins d’un ménage bien conduit, à qui il fût naturel d’entrer dans mes vues, qui pût trouver des plaisirs dans l’intimité domestique et jouir comme moi de toutes ces choses qui n’ont de prix que celui d’une simplicité volontaire.

Bientôt il me suffirait de suivre l’ordre dans les choses de la vie privée. Le vallon ignoré serait pour moi la seule terre humaine. On n’y souffrirait plus, et je deviendrais content. Puisque dans quelques années je serai un peu de poussière que les vers auront abandonnée, j’en viendrais à ce point de regarder comme un monument assez grand la fontaine dont j’aurais amené les eaux intarissables, et ce serait assez, pour l’emploi de mes jours, que dix familles trouvassent mon existence utile.

Dans une terre convenable, je jouirais plus de cette simplicité des montagnes, que je ne jouirais dans une grande ville de toutes les habitudes de l’opulence. Mon parquet serait un plancher de sapin ; au lieu de boiseries vernies, j’aurais des murs de sapin ; mes meubles ne seraient point d’acajou, ils seraient de chêne ou de sapin. Je me plairais à voir arranger les châtaignes sous la cendre, au foyer de la cuisine, comme j’aime à être assis sur un meuble élégant à vingt pieds de distance d’un feu de salon, à la lumière de quarante bougies.

Mais je suis seul ; et, outre cette raison, j’en ai d’autres