Aller au contenu

Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/315

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LETTRE LXVIII.

Im., 23 juillet, VIII.

J’ai fait à peu près les mêmes réflexions que vous sur mon nouveau séjour. Je trouve, il est vrai, qu’un froid médiocre est naturellement aussi incommode qu’une chaleur très-grande. Je hais les vents du nord et la neige ; de tout temps mes idées se sont portées vers les beaux climats qui n’ont point d’hivers, et autrefois il me semblait pour ainsi dire chimérique que l’on vécût à Archangel, à Jeniseick. J’ai peine à sentir que les travaux du commerce et des arts puissent se faire sur une terre perdue vers le pôle, où, pendant une si longue saison, les liquides sont solides, la terre pétrifiée, et l’air extérieur mortel. C’est le Nord qui me parait inhabitable ; quant à la Torride, je ne vois pas de même pourquoi les anciens l’ont crue telle. Ses sables sont arides sans doute ; mais on sent d’abord que les contrées bien arrosées doivent y convenir beaucoup à l’homme, en lui donnant peu de besoins, et en subvenant, par les produits d’une végétation forte et perpétuelle, au seul besoin absolu qu’il y éprouve. La neige a, dit-on, ses avantages : cela est certain ; elle fertilise des terres peu fécondes, mais j’aimerais mieux les terres naturellement fertiles, ou fertilisées par d’autres moyens. Elle a ses beautés : cela doit être, car l’on en découvre toujours dans les choses, en les considérant sous tous leurs aspects ; mais les beautés de la neige sont les dernières que je découvrirai.

Mais maintenant que la vie indépendante n’est qu’un songe oublié ; maintenant que peut-être je ne chercherais autre chose que de rester immobile, si la faim, le froid ou l’ennui ne me forçaient de me remuer, je commence à juger des climats par réflexion plus que par sentiment.