Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/332

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est la capitale qui réunit au plus haut degré les avantages des villes ; ainsi, quoique je l’aie vraisemblablement quittée pour toujours, je ne saurais être surpris que tant de gens de goût et tant de gens à passions en préfèrent le séjour à tout autre.

Quand on n’est point propre aux occupations de la campagne, on s’y trouve étranger ; on sent qu’on n’a pas les facultés convenables à la vie que l’on a choisie, et qu’on ferait mieux un autre rôle que peut-être pourtant on aime, ou on approuve moins. Pour vivre dans une terre, il faut avoir des habitudes rurales : il n’est guère temps de les prendre lorsqu’on n’est plus dans la jeunesse. Il faut avoir les bras travailleurs, et s’amuser à planter, à greffer, à faner soi-même : il faudrait aussi aimer la chasse ou la pêche. Autrement on voit que l’on n’est pas là ce qu’on y devrait être, et l’on se dit : A Paris, je ne sentirais pas cette disconvenance ; ma manière serait d’accord avec les choses, bien que ma manière et les choses ne pussent y être d’accord avec mes véritables goûts. Ainsi l’on ne retrouve plus sa place dans l’ordre du monde, quand on en est sorti trop longtemps. Des habitudes constantes dans la jeunesse dénaturent notre tempérament et nos affections ; et s’il arrive ensuite que l’on soit tout à fait libre, l’on ne saurait plus choisir qu’à peu près ce qu’il faut : il n’y a plus rien qui convienne tout à fait.

A Paris on est bien pour quelque temps, mais il me semble qu’on n’y est pas bien pour la vie entière, et que la nature de l’homme n’est pas de rester toujours dans les pierres, entre les tuiles et la boue, à jamais séparé des grandes scènes de la nature. Les grâces de la société ne sont point sans prix, c’est une distraction qui entraîne nos fantaisies ; mais elle ne remplit pas notre âme, et elle ne dédommage pas de tout ce qu’on a perdu : elle ne saurait