Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/341

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positives ; brillante supposition dont s’amuse un cœur neuf, et dont sourit douloureusement celui que plus de profondeur a refroidi, ou qu’un plus long temps a mûri.

Mutations sans terme, action sans but, impénétrabilité universelle : voilà ce qui nous est connu de ce monde où nous régnons.

Une destinée indomptable efface nos songes ; et que met-elle dans cet espace qu’encore il faut remplir ? Le pouvoir fatigue ; le plaisir échappe ; la gloire est pour nos cendres ; la religion est un système du malheureux ; l’amour avait les couleurs de la vie, l’ombre vient, la rose pâlit, elle tombe, et voici l’éternelle nuit.

Cependant notre âme était grande ; elle voulait, elle devait : qu’a-t-elle fait ? J’ai vu sans peine, étendue sur la terre et frappée de mort, la tige antique fécondée par deux cents printemps. Elle a nourri l’être animé, elle l’a reçu dans ses asiles ; elle a bu les eaux de l’air, et elle subsistait malgré les vents orageux : elle meurt au milieu des arbres nés de son fruit. Sa destinée est accomplie ; elle a reçu ce qui lui fut promis : elle n’est plus, elle a été.

Mais le sapin placé par les hasards sur le bord du marais ! il s’élevait sauvage, fort et superbe, comme l’arbre des forêts profondes : énergie trop vaine ! Les racines s’abreuvent dans une eau fétide, elles plongent dans la vase impure ; la tige s’affaiblit et se fatigue : la cime, penchée par les vents humides, se courbe avec découragement ; les fruits, rares et faibles, tombent dans la bourbe et s’y perdent inutiles. Languissant, informe, jauni, vieilli avant le temps et déjà incliné sur le marais, il semble demander l’orage qui doit l’y renverser : sa vie a cessé longtemps avant sa chute.