Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/366

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Il en est tout autrement lorsque, abandonnant ces recherches obscures, nous nous attachons à la seule science humaine, à la morale. L’œil de l’homme, qui ne peut rien discerner dans l’essence des êtres, peut tout voir dans les relations de l’homme. Là nous trouvons une lumière disposée pour nos organes ; là nous pouvons découvrir, raisonner, affirmer. C’est là que nous sommes responsables de nos idées, de leur enchaînement, de leur accord, de leur vérité ; c’est là qu’il faut chercher des principes certains, et que les conséquences contradictoires seraient inexcusables.

On peut faire une seule objection contre l’étude de la morale ; c’est une difficulté très-forte, il est vrai, mais qui pourtant ne doit pas nous arrêter. Si tout est nécessaire, que produiront nos recherches, nos préceptes, nos vertus ? Mais la nécessité de toutes choses n’est pas prouvée ; le sentiment contraire conduit l’homme, et c’est assez pour que dans tous les actes de la vie il se regarde comme livré à lui-même. Le stoïcien croyait à la vertu malgré le destin, et ces Orientaux qui conservent le dogme de la fatalité agissent, craignent, désirent comme les autres hommes. Si même je regardais comme probable la loi universelle de la nécessité, je pourrais encore chercher les principes des meilleures institutions humaines. En traversant un lac dans un jour d’orage, je me dirai : Si les événements sont invinciblement déterminés, il m’importe peu que les bateliers soient ivres ou non. Cependant, comme il en peut être autrement, je leur recommanderai de ne boire qu’après leur arrivée. Si tout est nécessaire, il l’est que j’ai ce soin, il l’est encore que je l’appelle faussement de la prudence.

Je n’entends rien aux subtilités par lesquelles on prétend accorder le libre arbitre avec la prescience, le choix de l’homme avec l’absolue puissance de Dieu ; l’horreur