Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/368

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de ne pas trouver que cet argument victorieux ait le sens commun.

Celui-ci est plus sérieux. Puisqu’il existe des religions anciennement établies, puisqu’elles font partie des institutions humaines, puisqu’elles paraissent naturelles à notre faiblesse, et qu’elles sont le frein ou la consolation de plusieurs, il est bon de suivre et de soutenir la religion du pays où l’on vit ; si l’on se permet de n’y point croire, il faut du moins n’en rien dire, quand on écrit pour les hommes, il ne faut pas les dissuader d’une croyance qu’ils aiment. C’est votre avis ; mais voici pourquoi je ne saurais le suivre.

Je n’irai pas maintenant affaiblir une croyance religieuse dans les vallées des Cévennes ou de l’Apennin, ni même auprès de moi dans la Maurienne ou le Schweitzerland ; mais, en parlant de morale, comment ne rien dire des religions ? Ce serait une affectation déplacée : elle ne tromperait personne ; elle ne ferait qu’embarrasser ce que j’aurais à dire, et en ôter l’ensemble qui peut seul le rendre utile. On prétend qu’il faut respecter des opinions sur lesquelles reposent l’espérance de beaucoup d’hommes et toute la morale de plusieurs. Je crois cette réserve convenable et sage chez celui qui ne traite qu’accidentellement des questions morales, ou qui écrit dans des vues différentes de celles qui seront nécessairement les miennes. Mais, si en écrivant sur les institutions humaines je parvenais à ne point parler des systèmes religieux, on n’y verrait autre chose que des ménagements pour quelque parti puissant. Ce serait une faiblesse condamnable : en osant me charger d’une telle fonction, je dois surtout m’en imposer les devoirs. Je ne puis répondre de mes moyens, et ils seront plus ou moins insuffisants ; mais les intentions dépendent de moi : si elles ne sont pas invariablement pures et fermes, je suis indigne d’un aussi beau ministère.