Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/393

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en sûreté ; mais, pendant la nuit, il se rend à la flotte avec tous les nègres de l’habitation, emportant ce qui pouvait être emporté. On a su depuis qu’il s’était établi dans une île anglaise, où son sort ne fut pas heureux.

Sa sœur ainsi dépouillée parut craindre que Fonsalbe ne l’abandonnât malgré sa promesse. Alors il précipita son mariage pour lequel il eût attendu le consentement de sa famille ; mais ce soupçon, auquel il ne daigna faire aucune autre réponse, n’était pas propre à augmenter son estime pour une femme qu’il prit ainsi sans en avoir ni bonne ni mauvaise opinion, et sans autre attachement qu’une amitié ordinaire.

Une union sans amour peut fort bien être heureuse. Mais les caractères se convenaient peu : ils se convenaient pourtant en quelque chose, et c’est dans un cas semblable que l’amour serait bon, je pense, pour les rapprocher tout à fait. La raison était peut-être une ressource suffisante ; mais la raison n’agit pleinement qu’au sein de l’ordre : la fortune s’opposait à une vie suivie et réglée.

On ne vit qu’une fois : on tient à son système, quand il est en même temps celui de la raison et celui du cœur, et on croit devoir hasarder le bien qu’on ne pourra jamais faire si on attend des certitudes. Je ne sais si vous verrez de même ; mais je sens que Fonsalbe a bien fait. Il en a été puni, il devait l’être ; a-t-il donc mal fait pour cela ? Si on ne vit qu’une fois... Devoir réel, seule consolation d’une vie fugitive ! sainte morale ! sagesse du cœur de l’homme ! il n’a point manqué à vos lois. Il a laissé certaines idées d’un jour, il a oublié nos petites règles : l’habitué du coin, le législateur du quartier, le condamneraient ; mais ces hommes de l’antiquité que trente siècles vénèrent, ces hommes justes et grands, ils auraient fait, ils ont fait comme lui...

Plus je connais Fonsalbe, plus je vois que nous reste-