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froide tranquillité des Alpes, et je me livrerais à cette suite d’incuriosité, d’oubli, de lenteur, où repose l’homme des montagnes dans l’abandon de ces grandes solitudes.

LETTRE LXXXIX.

Im., 6 décembre, IX.

J’ai voulu vous annoncer dès le jour même ce moment, jadis si désiré, qui pourrait faire époque dans ma vie, si j’étais entièrement revenu de mes songes, ou peut-être si je n’avais rien perdu de mes erreurs. Je suis tout à fait chez moi ; les travaux sont finis. C’est enfin l’instant de prendre un train de vie qui emploie de certaines heures, et qui fasse oublier les autres : je puis faire ce que je veux ; mais le malheur est que je ne vois pas bien ce que je dois faire.

C’est cependant une douce chose que l’aisance ; on peut tout arranger, suivre les convenances, choisir et régler. Avec de l’aisance, la raison peut éviter le malheur dans la vie ordinaire. Les riches seraient heureux s’ils avaient de l’aisance ; mais les riches aiment mieux se faire pauvres. Je plains celui que des circonstances impérieuses réduisent à monter sa maison au niveau de ce qu’il possède. Il n’y a point de bonheur domestique sans une certaine surabondance nécessaire à la sécurité. Si on trouve plus de paix et de bonne humeur dans les cabanes que dans les palais, c’est que l’aisance est plus rare dans les palais que dans les cabanes. Les malheureux, au milieu de l’or, ne savent comment vivre ! S’ils avaient su borner leurs prétentions et celles de leurs familles, ils auraient tout ; car l’or fait tout : mais dans leurs mains inconsidérées l’or ne fait rien. Ils le veulent ainsi : que leurs goûts soient satisfaits ! Mais, dans notre médiocrité, donnons du moins d’autres exemples.

Pour n’être pas vraiment malheureux, il ne faut qu’un bien ; on le nomme raison, sagesse ou vertu. Pour être